Dans l’atelier de Michel Casevitz

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Image : Entretien Casevitz
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À l’occasion de la publication du 1000e Budé, La Vie des Classiques vous propose une série d’entretiens avec des latinistes et des hellénistes qui ont fait et font encore la C.U.F., pour présenter leurs démarches respectives et leurs approches des textes antiques. Nous recevons aujourd’hui Michel Casevitz, qui a édité et traduit plusieurs livres de la Description de la Grèce de Pausanias, ainsi que des textes de Plutarque, Libanios ou encore Diodore de Sicile.

 

La Vie des Classiques : Comment vous présenter ? Quelle a été votre formation intellectuelle ?
Michel Casevitz : ma formation ? très classique ! J’ai appris le latin dès la 6ème et le grec dès la 4ème. Le choix a été fait par mes parents. Et j’ai eu la chance d’aimer de plus en plus le grec.

 

L.V.D.C. : Quelles ont été les rencontres déterminantes, de chair ou de papier, dans votre parcours ?
M. C. : La chance : des professeurs savants et pédagogues, Jolivet en 6ème et 5ème , puis Duvernet en seconde. Après le bac, Goube en hypokhâgne et khâgne, en fac Chantraine, qui fut mon maître. Ensuite, Vernant et Vidal-Naquet.

 

L.V.D.C. : Comment est née votre passion des langues anciennes, et notamment du grec ancien ? Et comment avez-vous « entretenu la flamme » ?
M. C. : Cette passion a été déclenchée par mes parents (mon père en particulier) puis entretenue grâce à des pères de substitution (en premier lieu Chantraine).

 

L.V.D.C. : Quel a été le premier texte latin et/ou grec que vous avez traduit/lu ? Quel souvenir en gardez-vous ?
M. C. : C’est Chamoux qui a dirigé ma « petite thèse » (soutenue en 1969) : j’ai édité et traduit le livre XII de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, qui devint en 1972 le premier volume de la CUF consacré à cet auteur.

 

L.V.D.C. : Et quel est le premier Budé que vous avez eu dans votre bibliothèque ? Vous souvenez-vous de la manière dont vous l’avez obtenu ?
M. C. : Comme héritage, de la bibliothèque de mon père, j’ai parmi les premiers Budé parus Eschyle (2 volumes).

 

L.V.D.C. : Vous êtes philologue, et travaillez notamment à l’édition des textes antiques : que signifie « éditer un texte » pour vous ? Comment s’y prend-on ? Combien de temps cela nécessite-t-il ?
M. C. : Travail de longue haleine : rassembler les manuscrits (essayer de les consulter directement et non pas seulement en microfilms), les collationner et les classer, établir un apparat critique, traduire ou travailler avec un traducteur. Seul ou en collaboration, c’est un travail qui occupe plusieurs années, surtout s’il s’agit d’œuvres longues à publier en plusieurs volumes.

 

L.V.D.C. : Vous avez édité et traduit plusieurs livres de Pausanias : comment avez-vous découvert cet auteur et cette œuvre ? comment est né ce projet ?
M. C. : En 1969, arrivant à l’Université Lyon 2 (comme chargé d’enseignement d’abord, puis professeur en 1977), j’ai trouvé un dossier représentant la préparation d’une édition de Pausanias, constitué par Jean Taillardat, pour l’édition du texte, et Jean Pouilloux, pour la traduction. Et j’ai pris la succession de Taillardat, tandis que François Chamoux se chargeait des notes complémentaires.

 

L.V.D.C. : Quelle est l’histoire de ce texte ? Comment est-il parvenu jusqu’à nous, et jusqu’à vous ?
M. C. : C’est une histoire originale : tous les manuscrits remontent à un seul archétype, l’exemplaire perdu  (au 16ème siècle) de Niccolò Niccoli et datant d’avant le 15ème siècle.

 

L.V.D.C. : Existe-t-il beaucoup de manuscrits de Pausanias ? L’un d’entre eux est-il particulièrement remarquable ?
M. C. : Il y a une vingtaine de manuscrits (sans compter les manuscrits de fragments). Les témoins permettant de reconstituer l’archétype sont quatre ou trois selon les livres de l’auteur : V (un marcianus, à Venise), F (un laurentianus, à Florence), P (un parisinus), à quoi il faut ajouter, pour une petite partie de l’œuvre, M (un matritensis, de Madrid) et aussi la première partie de L (un leidensis, de Leyde). Ces cinq manuscrits « primaires » datent du 15ème siècle. Ce sont les travaux d’Aubrey Diller qui ont établi ces résultats (entre 1936 et 1957).

 

L.V.D.C. : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Toutes ont-elles été surmontées ?
M. C. : Les difficultés ont été nombreuses : il a fallu veiller à l’unité des éditions d’un volume à l’autre, à l’harmonie de la collaboration entre plusieurs participants, à la réunion des connaissances diverses que l’œuvre de Pausanias nécessite dans le domaine de l’histoire, de la géographie et des divers domaines de la science.

 

L.V.D.C. : Qu’est-ce qui a été le plus ardu, l’édition ou la traduction ?
M. C. : Rien n’a été moins ardu, tout l’a été ! Pour Pausanias, j’ai participé bien sûr à la traduction de tous les volumes, mais je n’ai traduit moi-même qu’un seul livre, le livre 2, qui n’est pas encore paru (actuellement, six volumes sur dix sont parus, les quatre volumes à paraître sont en chantier).

 

L.V.D.C. : Pourquoi, selon vous, continuer de lire et de traduire Pausanias aujourd’hui ?
M. C. : Cet auteur, longtemps décrié, est aujourd’hui réhabilité : il donne un exemple des connaissances du monde grec qu’on pouvait avoir au début de l’Empire romain. Les archéologues ont appris à le considérer en haute estime.

 

L.V.D.C. : Pour peut-être susciter quelques vocations parmi nos lecteurs, reste-t-il beaucoup à faire sur cet auteur (ou d’autres) au niveau de l’édition et de la traduction ? Des travaux sont-ils en cours ?
M. C. : Il reste encore beaucoup à tirer de l’édition de toute l’œuvre. Et à terminer cette édition. Je signale que l’édition italienne (chez Mondadori) de cette œuvre, complète, n’est pas une édition critique, puisque l’apparat critique n’y repose pas sur un travail original de ou des auteurs.

 

L.V.D.C. : Parmi les autres philologues de la collection, qui admirez-vous le plus ? Pourquoi ?
M. C. : Comme philologues, j’admire le travail de Paul Mazon (pour Eschyle et l’Iliade), de Philippe-Emmanuel Legrand (pour Hérodote), de Pierre Chantraine (pour l’Économique de Xénophon). Comme éditeurs et traducteurs, ce sont des « philologues complets. » Et j’admire les actuels éditeurs des Budé, dont l’informatique a rendu la tâche plus aisée – mais qui est toujours difficile.

 

L.V.D.C. : Pour finir, pourriez-vous nous dire en quelques lignes quel est votre Budé préféré et pourquoi ?
M. C. : Pour sa richesse et sa remarquable science, j’aime particulièrement l’édition de l’Iliade due à Mazon, avec la collaboration de Chantraine, Collart et Langumier.

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