Tous à l'eau ! (même Pline l'Ancien)

10 août 2020
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Les conditions sanitaires actuelles orientent les vacanciers vers des destinations françaises, pays de fort thermalisme, ouvert à tout âge et à toutes sortes de prescriptions. Outre les facteurs géographiques et climatiques, un tel développement s’explique par notre histoire romaine. D’ailleurs, Pline l’Ancien (Ier s. de notre ère) consacre pas moins d’un livre de son Histoire naturelle à la localisation et aux vertus des eaux thermales.

Iuxta Romam Albulae aquae uolneribus medentur, egelidae hae, sed Cutiliae in Sabinis gelidissimae suctu quodam corpora inuadunt, ut prope morsus uideri possit, aptissimae stomacho, neruis, uniuerso corpori. Thespiarum fons conceptus mulieribus repraesentat, item in Arcadia flumen Elatum, custodit autem Linus fons in eadem Arcadia abortusque fieri non patitur. e diuerso in Pyrrha flumen, quod Aphrodisium uocatur, steriles facit. Lacu Alphio uitiligines tolli Varro auctor est Titiumque praetura functum marmorei signi faciem habuisse propter id uitium. Cydnus Ciliciae amnis podagricis medetur, sicut apparet epistula Cassi Parmensis ad M. Antonium. contra aquarum culpa in Troezene omnium pedes uitia sentiunt. Tungri ciuitas Galliae fontem habet insignem plurimis bullis stillantem, ferruginei saporis, quod ipsum non nisi in fine potus intellegitur. purgat hic corpora, tertianas febres discutit, calculorum uitia. eadem aqua igne admoto turbida fit ac postremo rubescit.

Auprès de Rome, les eaux de l'Albula guérissent les plaies ; elles sont dégourdies. Celles de Cutilie, chez les Sabins, sont très froides, et pénètrent si vivement le corps, qu'elles semblent y faire l'impression d'une morsure ; elles sont très bonnes pour l'estomac, pour les nerfs, et pour le corps entier.Les Thespiens ont une source qui fait concevoir les femmes. Il en est de même en Arcadie du fleuve Élate. La source du Linus, dans la même Arcadie, maintient le fœtus et empêche les avortements. Au contraire, dans la Pyrrhée, un fleuve nommé Aphrodisius cause la stérilité. Le lac Alphion enlève l'alphos ; d'après Varron, un certain Titius, ex-préteur, en avait le visage tellement couvert, qu'on eût dit un masque de marbre. Le Cydnus, fleuve de Cilicie, guérit la goutte, comme on le voit par une lettre de Cassius de Parme à Marc-Antoine. Au contraire, à Trézène tout le monde a les pieds malades par la mauvaise qualité des eaux.La cité de Tongres, dans les Gaules, a une fontaine fameuse (Spa) dont l'eau, toute pétillante de bulles, a un goût ferrugineux, qui ne se fait sentir que quand on finit de boire. Cette eau est purgative, guérit les fièvres tierces, et dissipe les affections calculeuses. La même eau, mise sur le feu, se trouble, et finit par rougir.

Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXI, 6-8, Texte traduit par E. Littré, Paris, 1850

Pas question pour nous d’évoquer les immenses thermes de Trajan, Caracalla, Dioclétien, ou les bains d’Antioche, de Bath, ceux de Tyr, mais plus proches, les anciennes sources de Spa. Cette cité faisait partie du nord de la Gaule ou Belgica. Elle regroupait 300 sources minérales, dont 7 dans la ville elle-même. Ville au nom évocateur qui s’affiche aux enseignes de tous les instituts de beauté un peu branchouilles. Les linguistes débattent encore de l’étymologie : entre l’acronyme de sana per aquam « la santé par l’eau » et une origine indo-européenne plus large (*spiu-) signifiant « jaillir, cracher ». Bien qu’il ait eu des bains grecs à l’époque hellénistique, dans l’Antiquité, la pratique du bain n’entre pas dans la pratique d’hygiène quotidienne, mais dans l’arsenal thérapeutique du médecin antique, au même titre que le régime alimentaire et les exercices physiques. Les médecins hippocratiques, à ce titre, sont assez précis sur la bonne pratique de la balnéothérapie (affections, maladies des femmes, régime, usage des liquides passim). Cises près de certains sanctuaires, les sources notamment d’eau chaude étaient investies d’une puissance divine, capables de guérir les maladies. Le thermalisme est né ainsi de ces médecines alternatives alliant hydrothérapie, détente, propreté et thérapie (religion !), ce qui fait encore leur ambiguïté à l’époque moderne. La spécificité des bains de Spa tenait à la purification de l’organisme et à la guérison des fièvres. Les propriétés chimiques de cette eau lui valurent les faveurs du tsar Pierre le Grand (XVIIe-XVIIIe s.) qui en fit un haut lieu du thermalisme mondain. Un long mur gravé, véritable livre d’or, égrène la litanie des célébrités souffreteuses ou égrotantes : Listz, Casanova, Offenbach, Meyerbeer, Dumas, Hugo…Voilà de quoi redorer l’image que vous pourriez avoir du spa esthétique, dont le nom est galvaudé.