Moi, un Manuscrit II , "on peut en dire, des choses, en peu de mots"

13 août 2020
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Et vous, Amis des Classiques, aimez-vous les épigrammes ? Simone Beta nous les présente en chair et en os

" Mais les épigrammes, il faut bien le dire, n’intéressaient pas grand monde. Pour qui aimait les descriptions de batailles, la célébration d’un guerrier courageux, les aventures d’un héros rusé, le monologue d’un acteur sur scène, l’éloge d’un pugiliste qui a remporté les Jeux olympiques (comme l’un des nombreux athlètes chantés par Pindare dans ses épinicies), que faire d’une poésie brève, très brève même, parfois longue de quelques vers à peine, qui à l’origine était gravée sur un objet ? Comme par exemple les trois vers qu’on peut lire sur les fragments d’une coupe retrouvée sur l’île d’Ischia :

Je suis la coupe de Nestor,  facile à boire :

Qui boit à cette coupe aussitôt sera pris

Du désir d’Aphrodite à la belle couronne.

Que faire d’une poésie qui, dans les temps les plus anciens, était gravée aux pieds d’une statue ? Comme par exemple les vers sculptés sur le piédestal d’une statue représentant le célèbre poète grec Anacréon :

C’est moi, le vieux Téien, qui jamais ne me suis

Lassé des deux amours, des garçons et des filles.

Mes yeux sont enivrés, et je porte les signes

De ces nuits sans sommeil passées à bambocher.

Ou encore, que faire d’une poésie qui, dans les temps les plus lointains, était gravée sur une pierre tombale pour se souvenir du défunt qui y avait été enseveli? Comme par exemple l’épitaphe d’un voyant :

C’est ici le tombeau du fameux Mégistias,

Aux rives du Sperchios massacré par les Perses.

Le devin savait bien que sa mort était proche,

Mais il ne voulut point abandonner ses chefs.

Moi, en revanche, j’aime beaucoup les épigrammes. Bien sûr, ce n’est sans doute pas moi qui devrais le dire, parce que je suis directement concerné, mais même dans une petite épigramme peut se cacher beaucoup de poésie. Au fond, les Grecs eux aussi l’avaient compris : lorsqu’ils se rendirent compte qu’on pouvait se servir de ce genre particulier de compositions poétiques, né à la fin de l’époque classique, entre le Ve et le IVe siècle av. J.-C., non seulement pour décrire un objet, pour donner un nom à une statue, ou pour se souvenir d’un mort, mais aussi pour faire autre chose – comme, par exemple, exprimer des sentiments tels que l’amour et l’amitié, méditer sur la vie et sur la mort, raconter une histoire, ou encore décrire un tableau –, ils se mirent à en écrire de plus en plus, rivalisant à qui écrirait les plus précieuses ou les plus spirituelles, car on peut en dire, des choses, en peu de mots."