Da Capo - Héliogabale, un Sévère anarchiste

Texte :

L’opéra est encore jeune, mais de Monteverdi à Wagner, il a créé son Antiquité. En chantant le mythe et la tragédie, l’art lyrique s’invente et rêve les Anciens.

            Le jeune Héliogabale est mis sur le trône impérial à quatorze ans par sa mère Julia Soemnia, à la suite d'une série de meurtres : celui de Caracalla par son préfet Macrin, et de ce dernier par la soldatesque ralliée à la dynastie des Sévères. Tout se passe sous le soleil brûlant de Syrie, auquel le jeune prince doit peut-être son nom solaire, à moins qu'il ne soit à lui seul un coup de soleil … On raconte en tout cas qu'il choqua Rome, mêlant le sacré et la politique avec la débauche. Brouillant les frontières, « il se donnait pour homme et pour femme » (Dion Cassius) et se donnait tout court à divers favoris.

            Dans l'opéra de Cavalli, cet eroe effeminato intrigue pour obtenir la noble Romaine Gemmira, quitte à empoisonner son fiancé Alessandro. La tessiture presque féminine (contre-ténor) d'Eliogabalo renforce l'illusion de ses travestissements. Certains mélismes dans l'instrumentation rappellent son origine orientale, et la mise en scène de Thomas Jolly rend justice au sens théâtral de l'empereur, qui confia, d'après Hérodien, les plus hautes charges de l'État à des comédiens et à des acteurs… Les plus beaux airs de l'opéra sacrifient à cette soif de théâtre despotique. Antonin Artaud verra du génie dans cet « anarchiste couronné », expliquant ainsi sa fin brutale : « celui qui réveille cette anarchie dangereuse en est toujours la première victime ».

J.T.

            Francesco Cavalli, Eliogabalo (1668), mise en scène de Thomas Jolly, crée à l'opéra Garnier en septembre 2016. Dirigé par Leonardo García Alarcón, avec Franco Fagioli (Eliogabalo), Paul Groves (Alessandro) et Nadine Sierra (Gemmira).

L'opéra est disponible en rediffusion intégrale dans cette mise en scène jusqu'au 8 Avril 2017 à cette adresse.

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