Anthologie - Bacchanales, fermetures et couvre-feu à la mode romaine

27 octobre 2020
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Voici un passage de Tite-Live qui n'est pas sans rappeler une certaine actualité...

Premières mesures. Discours du consul Spurius Postumius Albinus.

Comme les deux dénonciateurs se trouvaient ainsi en son pouvoir, Postumius soumet l'affaire au Sénat, après avoir exposé dans l'ordre tout ce qu'on lui a d'abord rapporté, puis les résultats de sa propre enquête. Une immense panique s'empara des sénateurs, à la fois au nom de l'intérêt public, à l'idée des dommages ou périls cachés que pouvaient apporter ces conjurations et rassemblements nocturnes, mais aussi chacun à titre personnel, dans la crainte que quelqu’un des leurs ne fût complice de ces crimes. Le Sénat décida cependant qu'il convenait de rendre grâces au consul pour avoir mené cette enquête à la fois avec un soin particulier et en évitant toute agitation.

Puis on confie aux consuls l'enquête extraordinaire sur les Bacchanales et les cultes nocturnes. On ordonne de veiller à ce que cette affaire ne cause aucun préjudice aux dénonciateurs Aebutius et Faecenia, et de susciter d'autres dénonciations par des récompenses. On fait rechercher les prêtres de ces cultes, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, non seulement à Rome mais à travers tous les fora et les marchés pour les remettre entre les mains des consuls; on fait décréter en outre dans la ville de Rome les mesures suivantes  (et on envoie les mêmes édits dans toute l'Italie): quiconque a été initié aux mystères de Bacchus doit s'abstenir de participer à des rassemblements pour la célébration de ce culte et d'accomplir aucun acte rituel de ce type; que l'on instruise en priorité le cas de ceux qui ont participé à la conjuration avec l'intention de commettre le viol ou le crime. Tel fut le décret du Sénat.

Les consuls ordonnèrent aux édiles curules de rechercher tous les prêtres de ce culte, de se saisir d'eux et de les garder en résidence surveillée, à la disposition de l'enquête. Les édiles plébéiens devaient veiller à ce qu'aucun rituel ne fût célébré en secret. Aux triumvirs capitaux on confia la tâche de disposer des vigiles à travers la ville, de veiller à ce qu'aucun rassemblement nocturne n'ait lieu et de prendre garde aux incendies. Des quinquévirs «  De l'une et l'autre rives du Tibre », auxiliaires des triumvirs, avaient la charge chacun des édifices de son propre quartier.

XV. Les magistrats ayant été envoyés à ces différentes tâches, les consuls montèrent aux Rostres et, une fois L'assemblée convoquée, après avoir prononcé l'invocation solennelle que traditionnellement les magistrats récitent d'abord avant de s'adresser au peuple, le consul  Postumius  commença en ces termes: « Jamais à aucune assemblée, citoyens, cette prière solennelle aux dieux ne fut, non seulement plus adaptée, mais plus indispensable : elle vous a rappelé que c'étaient là les dieux que vos ancêtres vous avaient appris à honorer, vénérer et prier, et non pas ceux qui, s'emparant des consciences par des rites malsains venus de l'étranger, les poussaient, comme sous l'aiguillon des Furies?, vers tous les crimes et toutes les dépravations. Pour ma part, je ne sais ni ce que je dois taire ni jusqu'où je dois dévoiler les faits. Je crains, si je vous laisse ignorer la moindre chose, d'être accusé de manquer à mes devoirs, mais si, au contraire, je vous révèle tout, de vous plonger dans une trop profonde terreur.

Sachez que tout ce que j'aurai dit, sera loin de montrer l'affaire dans toute son atrocité et son ampleur; mais nous ferons en sorte d'en dire assez pour que vous soyez sur vos gardes. Qu'il existe des Bacchanales depuis longtemps dans toute l'Italie et même maintenant en plusieurs points de Rome, je sais bien que vous l'avez appris non seulement par oui-dire, mais également par les roulements, les hurlements qui, la nuit, résonnent par toute la ville, mais, pour le reste, vous ignorez de quoi il s'agit. Les uns croient que c'est là un culte rendu aux dieux, les autres un divertissement qui reste dans les limites permises, un libertinage, qui en tout état de cause touche peu de monde.

Histoire romaine, XXXIX, 15